mercredi 26 décembre 2018

MALIFAUX : RAPPORT


Voici un second rapport de Malifaux, qui s'articule avec le précédent. Cette fois on aborde la ville elle-même afin d'en découvrir l'ambiance ...


Une pluie froide tombe dans la sombre ruelle de Malifaux, les pâles lampadaires faisant miroiter les gouttelettes qui heurtent les pavés. Leurs faibles lumières jettent des ombres torturées sur les murs, et la silhouette se glisse le long des parois, presque invisible, avançant d’un pas rapide et résolu, tête baissée, tandis que dégouline sur son pardessus de cuir noir l’eau des cieux.  


Parcourant les ruelles qu’il connait par cœur, il rejoint une entrée basse, qu’une simple lanterne permet de distinguer, surmontée d’un panneau grinçant dans la tempête où s’étire en lettres grossières « The Just After Tavern ». Sans ralentir, l’homme pousse la lourde porte de bois et de fonte, pénétrant dans l’atmosphère enfumée de la taverne.


Le maître des lieux, Ulysse, un grand borgne aux traits libidineux et à la peau sale, le rejoint immédiatement, attrapant le haut de forme et le pardessus de l’arrivant. Ce dernier, visage fin et sec, yeux illuminés de folie, regarde le tavernier, qu’il connaît depuis longtemps. Entre Seamus et le tavernier il n’y a plus besoin de paroles, et Ulysse pointe d’un mouvement de menton une table où se trouve un vieil homme, puis délaisse son hôte pour aller poser ses affaires.


Seamus, bien que transi de la froide humidité qui a pénétré son corps, ne fait pas attention aux feux du foyer central où les volailles grillent, libérant des effluves carbonés dans la salle déjà chargée de nombreuses senteurs fortes : tabac, sueurs, bières âcres. Il passe entre quelques tables où des mineurs boivent et rient, fêtant cette journée où ils ont survécu jusqu’à celle de demain. Puis il s’installe à côté d’un homme âgé au faciès rubicond, plutôt squelettique et à la peau vérolée. 


Ce dernier, les yeux dans le vague, fixe machinalement le feu de l’âtre, cherchant un quelconque repos pour son âme. Jocelyn, comme il se nomme, ne dort plus depuis les terribles événements qu’il a vécus, et il essaie tant bien que mal par l’alcool d’oublier un peu. C’est justement ces événements qui ont attiré la curiosité de Seamus.


Discrètement, celui-ci pousse un petit verre à l’étrange mixture frelatée à Jocelyn, le gratifiant d’un large sourire carnassier que l’homme saoule ne discerne pas, perdu dans les vapeurs alcoolisées de la taverne. « Racontez-moi » susurre-t-il d’une voix tranchante et éraillée. Jocelyn prend  le verre, le boit cul-sec et le pose sur le bois collant de la table.


« Je sais, tout le monde veut que je raconte. Alors pourquoi pas. Ah force d’en parler, je vais peut-être oublier ces horreurs. » lâche le vieil homme en se frottant les yeux. Puis il sort, les mains tremblantes, une pipe de sa poche. Devant sa difficulté à l’allumer, Seamus se saisit d’une bougie qu’il amène près du visage de l’homme, faisant danser les sillons de son visage, puis illa repose, contenant aussi bien que possible son impatience.


Jocelyn prend plusieurs bouffées rapides, puis se décide enfin à parler.


-          « J’étais dans ma ferme, dans les marais. Je me souviens bien, car malgré la nuit, le sommeil était difficile. Il y avait des cris lugubres. Et puis leurs râles m’ont réveillé.

-           Leurs râles ?

-          Oui. Des créatures qui devraient être mortes. Des femmes de petites vertus, revenues de leur tombe, et mener par une des leurs maniant une cravache diabolique. »


Seamus s’installe plus confortablement. Il a retrouvé Sybelle, sa lieutenant, maîtresse des belles décaties. L’histoire l’intéresse pour de bon cette fois, et sa patience revient. Il ne perd pas son temps.


-          « Alors je suis monté à l’étage et j’ai regardé. Elles semblaient chercher quelque chose, mais les autres sont venus.

-          Les autres ?

-          Oui, ceux qu’on ne nomme pas car ils ne devraient pas exister.

-          Les Neverborn ! » dit doucement Seamus.



Jocelyn a un regard effrayé.

-          « je ne sais pas ce que c’était. Mais leur présence m’a marqué au plus profond. Ils me hantent depuis. Des créatures impalpables, qui passaient dans les murs. Et leur chef…

-          Une belle femme ?

-          Non. Une enfant. Une douce enfant avec un panier de bonbons. Une douce enfant, dont le regard vous transperce de mille lames invisibles. »


Seamus, l’œil brillant d’attrait, se pencha vers l’homme. Il savait qui c’était : Candy, incarnation enfantine du malheur des hommes. Jocelyn fixe à nouveau le feu. Son regard se perd à nouveau tandis qu’il reprend :

-          « ils sont arrivés de la rivière. Et on surgit sur les femmes non vivantes près de ma maison. Ce qui  s’est passé ensuite…. (il réprime un frisson)… est indicible. C’est comme si les fantômes et la petite fille ne faisait rien. Juste par leur présence, les autres semblaient souffrir. J’ai senti en moi aussi des douleurs… des peurs… Et puis la chef des femmes a commencé à se battre elle-même sous le regard amusé de la petite fille. »


Jocelyn éclate en sanglot. Seamus, lui, ne cache pas son intérêt. Il connait ces pouvoirs des Neverborn, ces pouvoirs vous obligeant à vous mutiler. Machinalement il a porté sa main sur sa cuisse, là où Pandora l’avait obligé à tirer avec sa propre arme. Mais ce qui l’intéresse c’est surtout qu’il sait désormais où sont les corps de ses filles.


Sans un mot il se lève, puis rejoint le borgne qui lui tend ses affaires. Tandis qu’il met son pardessus et son haut de forme, il glisse une pièce au borgne, puis s’approche doucement de son oreille : « quand le poison aura opéré, amène-le moi, il me sera encore utile. » Puis il se précipite à l’extérieur, retrouvant l’obscurité et la pluie.


Au fond de la salle, une femme sourit discrètement. Membre de la Guilde, elle traque sans relâche Seamus depuis des mois, et enfin elle retrouve sa trace. Bien sûr elle va devoir laisser mourir un innocent, mais cela n’a pas d’importance. Elle suivra son cadavre, et pourra enfin arrêter Seamus le chapelier.

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