L’aube se lève sur de nouvelles craintes, mais il faut continuer à
s’occuper. Nous nous sommes résolus à manger les rongeurs qui pullulent, ou
tout autre petit animal qui passerait sous l’assommoir que nous venons
d’installer. Nous avons aussi nettoyé notre collecteur pour récupérer encore de
l’eau s’il pleut. Nous repartons en collecte dans l’Hôpital de Ville, dans
lequel nous trouverons toujours plus de médicaments ou de bandages… s’il en
reste… En effet, une épidémie a commencé à faire rage, partie d’un camp de
civils que nous n’avons d’ailleurs jamais réussi à aider malgré leur demande.
Nous n’avions tout simplement pas assez de nourriture pour en partager.
Heureusement nous avions récupéré des médicaments lors d’une précédente
collecte, mais il fait tellement froid que ça ne suffit pas à nous remettre
complètement d’aplomb.
La collecte se passe bien, nous n’avons rencontré personne et c’est
finalement tant mieux. Alcool pur, médicaments, produits chimiques et herbes
médicinales dans le sac, nous prenons le chemin du retour. L’alcool pur que
nous avons trouvé pourra nous être utile pour négocier quelque chose plus tard,
car beaucoup noient encore leur mal-être dans l’alcool. Et cela permet
d’oublier la faim. Nous ramenons quelques composants et un peu de bois, aussi,
ainsi qu’une guitare cassée. S’en servira-t-on jamais ?
Au retour de la collecte, Cveta nous raconte qu’une bande de civils
affamés a tenté de nous dérober nos réserves. Ils n’ont pas osé attaquer Cveta,
armée d’un couteau, mais ils ont réussi à prendre un paquet de sucre et des
cigarettes. Nous nous estimons heureux, car des rumeurs circulent faisant état
de bandes organisées qui pillent les refuges des civils et tuent sans vergogne.
Pour l’instant nous n’avons pas attiré trop de convoitises.
Aussitôt levés, nous cuisinons les animaux capturés durant la nuit.
Notre assommoir s’est révélé efficace, et nous avons récupéré assez de viande
pour se concocter un repas très décent à l’aide de notre poêle amélioré. Etait-ce
un chat ? Peu importe. Tout le monde mange à sa faim, c’est assez rare
pour être mentionné. Nous avons même pu constituer des réserves de viande
séchée. Par contre nous sommes toujours malades, tout le monde tousse. Nous
préparons notre piège et vérifions notre collecteur.
Cette nuit, seul Marko part en collecte, toujours dans l’hôpital. Anton
doit dormir, il est épuisé par la privation de sommeil. Cveta monte encore la
garde. Marko rapporte des légumes (probablement abandonnés là par quelqu’un qui
ne viendra plus jamais les chercher), des cigarettes, des pièces d’armes et des
douilles, entre autres. La ville est tapissée des restes de la guerre. Pour
l’instant toutes ces pièces d’arme, ces douilles et ces munitions ne nous
servent à rien d’autre que d’avoir un petit pécule pour commercer (la mort se
vend bien) mais nous commençons aussi à nous dire qu’il faudra peut-être
s’armer bientôt plus lourdement qu’avec nos couteaux, même si nous n’avons pas
envie de devenir des prédateurs pour Sarajevo.
Justement, la nuit aura été dure. Des gangs violents et des voyous ont
sillonné la ville cette nuit, comme si ils s’étaient organisés pour tout
ratisser. Nous subissons deux attaques la même nuit. Heureusement Cveta a
réussi à se défendre des uns et à se cacher des autres. Sinon elle serait morte
à l’heure qu’il est. Nos barricades les ont un peu gênées, mais ils ont pillé
très largement nos réserves. Toute notre nourriture a disparu. Notre pelle,
aussi. Et bien sûr nos médicaments. C’est peut-être le pire, car nous sommes
tous de plus en plus malades avec ce froid. A l’hôpital, Marko a assisté à une
scène extraordinaire. Un barbier s’était installé dans une pièce du bâtiment
pour prodiguer gentiment un peu de dignité aux civils. Marko, avec sa barbe et
ses cheveux hirsutes, aurait bien eu besoin de passer entre ses mains. Mais il
n’avait déjà plus le temps pour ça, et trop de choses à rapporter pour risquer
de les poser dans un coin pendant que le barbier s’occupait de lui. Tant pis.
Le lendemain, la fatigue de nos activités nocturnes se fait sentir pour
Marko et Cveta. Nous nous disons que fabriquer un lit pourrait être une bonne
idée, nous avons mal partout à force de dormir à même le sol. On n’oublie pas
si facilement des années de confort. Il se révèle tout de suite utile. Anton et
Marko décident de faire une petite sieste, ce qui leur redonne immédiatement
des forces. Avec un peu de chance et d’organisation nous pourrons éviter de
prendre des nuits de repos entières. Nous avons aussi renforcé notre refuge en
installant encore plus de barricades. Mais Cveta a besoin d’une bonne nuit de
sommeil, surtout après ce qu’elle a traversé la nuit dernière. Elle a vu la
mort de près. Heureusement jusque-là elle a pu piocher dans nos réserves de
café pour tenir le coup.
Anton monte la garde cette nuit. Ce n’est pas fait pour nous rassurer,
car sa blessure par balle n’a toujours pas cicatrisé. Damnés snipers ! Si
d’aventure nous étions attaqué, il pourrait ne pas voir le jour se lever.
Marko, revigoré par sa sieste, part encore courageusement en collecte. Nous
avons trouvé un chemin par les égouts qui mènent presque en ligne droite à un
entrepôt. Marko et Anton se mettent d’accord pour s’y retrouver à mi-chemin au
petit matin pour ramener plus de ressources. Marko ramène de l’alcool frelaté,
des légumes encore consommables, des composants en métal et du bois. Mais
l’entrepôt était gardé et Marko a vite filé lorsqu’ils l’ont menacé de s’en
prendre à lui s’il restait dans le coin. Il a rencontré un gamin qui cherchait
son chien. L’instinct du pompier, sans doute, mais Marko est entré dans le
tunnel étroit dans lequel le chien avait disparu. Marko l’a retrouvé. Il
arrachait des lambeaux de chair d’un cadavre de femme en putréfaction. Comment
était-elle arrivée ici ? Marko a manqué de vomir, heureusement il avait le
ventre vide. Le chien n’a pas voulu laisser sa nourriture comme ça, il a mordu
Marko qui tentait de le sortir de là. Avec un regard, le gamin l’a remercié et
est reparti d’où il venait. Marko, lui, en sort avec le sentiment du devoir
accompli et… une belle morsure. Le chien a planté ses dents profondément dans
sa main, et la plaie montre déjà des signes d’infection… Le cadavre,
probablement. Aider les autres n’est que rarement récompensé en temps de
guerre.
Au contraire de la nuit précédente, Anton n’a vu personne. Il a même pu
s’offrir le luxe de se souvenir des promesses qu’il a faites à ceux qui sont
déjà partis. Il a promis de survivre ; et il a fait son possible jusque-là.
Notre assommoir a heureusement fourni un peu de nourriture (contrairement à la
nuit précédente), nous allons pouvoir cuisiner quelque chose au matin. L’eau ne
manque toujours pas.
Nous avons survécu quelques nuits de plus. Mais nous sommes tous très
malades et nous manquons cruellement de médicaments. L’hôpital a en effet été
bombardé et il n’y reste plus rien. Il va falloir commercer pour obtenir des médicaments
ou la maladie aura raison de nous…
Salut, toujours très prenant ce résumé. Attention, je crois que je commence à m'attacher à certains personnages...
RépondreSupprimerSurtout pas malheureux, leur espérance de vie est limitée ;)...
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